Obligées de marquer contre leur camp pour ne pas prendre d’amende…
Depuis le début de la saison, l’équipe des Coqs Rouges Bordeaux, évoluant en brassages féminines à 11 dans le district de Gironde, mène au score à la 85ème avant de laisser la victoire à leurs adversaires du jour en marquant contre leur camp.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Explications avec leur coach Guillaume Bogvad, au club depuis toujours et également responsable de la section féminine et vice président du club des Coqs Rouges.
Bonjour Guillaume, quelle est l’histoire de cette équipe féminine ?
La section féminine des Coqs Rouges Bordeaux, évoluant sur le domaine de Moulerens à Gradignan a été créée il y a deux ans et une équipe à 8 était engagée en départemental 2 féminine. L’équipe a bien débuté mais l’année dernière, toutes les joueuses sont parties en fin de saison et seulement 2 licenciées sont restées au club.
Nous avons travaillé sur la communication de recrutement en indiquant que toutes les filles de tout niveau étaient les bienvenues, avec une période d’essai d’un mois durant tout le mois de juin. Et c’est ainsi que nous avons construit un groupe de 31 licenciées dans lequel il y a 17 mutées et 9 mutées hors période. Parmi ces mutées, il y a des femmes de divers départements et régions qui nous ont rejoint et qui sont donc mutées. Toutes les filles qui se sont inscrites sont venues à nous grâce à la communication ou le bouche-à-oreille.
Avec ce nombre de licenciées, nous avons décidé de constituer deux équipes, une équipe à 8 avec des débutantes et une équipe à 11 avec des filles plus confirmées.
Lors d’un changement de club d’une saison sur l’autre, la licence de tout·e joueur·se est frappé du cachet « mutation » et le club doit s’acquitter de frais de mutation (article 115 des règlements généraux de la FFF). De plus, si le changement de club intervient après le 15 juillet, le/la joueur·se muté·e est un·e joueur·se muté·e « hors-période ». Il y a des cas d’exemptions de ce cachet (article 117 des mêmes règlements):
- pour les licencié·e·s U6 à U11
- pour les licencié·e·s dont le précédent club n’a plus d’équipe dans la catégorie du/de la joueur·se
- pour les licencié·e·s qui adhèrent à un club nouvellement affilié ou qui reprend son activité suite à une inactivité totale ou partielle dans les compétitions de la catégorie d’âge du/de la licencié·e.
Ce nombre de muté·es est limité lors des matchs à 6 muté·es dont 2 « hors-période », comme indiqué dans l’article 160 des règlements. Cependant, certains articles des règlements permettent d’augmenter le nombre de muté·es en période normale. Cependant le nombre de muté·es hors période est toujours limité à 2 maximum.
Quelle est la volonté du club pour cette section féminine ?
La volonté du club est de féminiser notre section football. Nous avons plusieurs membres du bureau qui sont des femmes, nous avons des éducatrices, et nous souhaitons voir apparaître une parité dans notre association multisports et multiculturelle et cela fait partie intégrante de notre projet club.
Devant la situation exceptionnelle de votre équipe par rapport au règlement, quelles sont les démarches que vous avez effectuées auprès de la ligue de Nouvelle Aquitaine ou du district de Gironde ?
Lorsque nous avons engagé l’équipe à 11, nous pensions que cette équipe était considérée comme une création d’équipe et donc que nous n’aurions pas de problèmes de mutations. Nous ne connaissions pas vraiment grand chose et nous avons rencontré le district et la ligue afin de comprendre les règlements, voir si nous pouvions avoir une dérogation au vu de notre cas particulier (seulement 2 joueuses dans la section senior féminine) mais malheureusement, ils nous ont confirmé que le règlement devait être appliqué (NDLR: PV de la commission des mutations dernière page), qu’ils en étaient bien désolé car ils soutenaient notre projet et qu’ils étaient prêts à chercher une solution avec nous, mais que malheureusement, ils se retrouvaient bloqués et n’en trouvaient pas non plus face au règlement de la fédération.
Nous avons indiqué que nous n’avions pas le choix car nous étions enregistré en championnat et que nous devions faire jouer les joueuses, ces 31 filles si elles n’étaient pas chez nous, elles seraient nulle part. Quelques unes seraient dans un autre club mais ce serait infime.
Nous avons demandé à ce que les joueuses puissent jouer sous la contrainte d’une réserve mais de ne pas payer d’amende car nous sommes une association à but non lucratif, nous sommes présents pour former des enfants, des adolescents et des adultes au football et nous n’avons pas les moyens financiers. Cela a été également refusé pour éviter qu’un club ait la même requête ou ne comprenne pas cette faveur.
Comment se sont déroulés les premiers matchs de cette saison ?
Avec Talence, Bazas, La Brède, Gradignan et Saint Jean de Luz, j’ai appelé les clubs, je leur ai dit que l’on viendrait avec une équipe non réglementaire, que nous n’avons pas le choix, on a expliqué notre cas. On leur a demandé si ils acceptaient cela ou non ? Est-ce qu’ils veulent quand même faire le match ? Si vous souhaitez respecter le règlement à la lettre, je le comprends. Et si vous n’acceptez pas, nous pouvons quand même faire le match et vous gagnerez sur le terrain et, si nous gagnons ou faisons match nul, à 5 minutes de la fin, nous lâchons le match et nous marquerons contre notre camp, s’il le faut. Chaque club portait une réserve contre nous sauf Talence qui a eu le même cas que nous, il se sont retrouvé avec 9 mutées (eux ont droit à 8 mutées grâce à une règle du règlement qui leur permet d’avoir 2 mutées supplémentaires) donc nous avons pu jouer ce match sans contrainte. Sinon, nous l’aurions jouer avec une réserve contre une autre réserve ce qui n’était pas envisageable.
Il n’y a pas eu forcément de communication le jour même du match, car toutes les parties étaient au courant. On leur explique qu’il n’auront pas d’intérêt à appuyer la réserve puisqu’elle est faite pour gagner un match et que l’équipe aura gagné sur le terrain. L’objectif est de faire gagner l’équipe qui est réglementaire.
On peut s’interroger sur la volonté des clubs adverses de porter réserve face à une équipe dans une situation exceptionnelle. Mais le format du championnat ne donne pas le droit à l’erreur et toute victoire est bonne à prendre. En effet, la première phase est une phase dite de brassage. Les clubs ont été répartis dans 5 poules de 3 ou 4 équipes, sur un critère géographique. Les deux premiers de chaque poule évolueront en deuxième phase en départemental 1, avec comme objectif la montée en R2 pour 2 d’entre eux. Les autres sont reversés en départemental 2, où l’enjeu est moindre en l’absence de montées et de descentes. Les Coqs Rouges étaient placés dans une poule de 4, avec Gradignan 2, Bazas et La Brède. Elles n’ont pas joué le match contre La Brède, il a été annulé, car il n’était plus décisif pour le classement final. Si Bazas ou Gradignan 2 n’avaient pas porté réserve (réserve qu’ils n’auraient activé qu’en cas de défaite), l’un des deux clubs serait en D2 pour la deuxième phase, avec un championnat de moindre niveau et une motivation moindre. On peut comprendre qu’ils aient voulu gagner ce match, même sur tapis vert, pour supposément permettre à leurs joueuses de meilleures oppositions en seconde phase, un plus grand nombre de matchs aussi et donc une opportunité de progresser plus grande.
Comment ça se passe avec les joueuses ?
Au sujet des clubs adverses, les coachs ne préviennent pas leur joueuses qui sont toujours étonnées sur le terrain. Un sentiment d’incompréhension. Malheureusement, nous n’y pouvons rien car nous n’avons pas l’obligation de prévenir les joueuses, c’est à leur coach de le faire. A chaque fois où nous gagnons, ça ne se passait pas forcément bien car les joueuses adverses étaient médusées par la situation et le fait qu’à la 85ème nous commencions à marquer contre notre camp. Et elles prenaient cela comme un affront.
Concernant mon équipe, elles sont au courant depuis le début. On les a tenu au courant rapidement lorsque nous avions compris que l’équipe à 11 n’était pas une création. Nous n’avions pas enregistré les licences tant que nous avions pas d’informations concrètes du district et de la ligue. On leur a évoqué la situation et nous leur avons donné le choix. Soit elles acceptent de perdre les matchs, soient elles choisissent un autre club. Elles sont restées car elles ont adhéré au projet club qui dure 3 ans, aux valeurs familiales et de solidarité de notre association.
Elles ont joué le match à fond pendant 85 minutes et elles ont gagné à chaque fois en championnat. Le match contre Saint Jean de Luz était plus compliqué et nous avons donc perdu le match nous n’avons pas marqué contre notre camp.
Il n’y a pas eu de perte de motivation car nous avons essayé de les tirer vers le haut au maximum mais elles sont déçues de ne pas pouvoir montrer ce qu’elles valent sur le terrain. Elles sont aussi en colère de la situation. Mais elles sont vraiment contentes de pouvoir jouer ensemble et de progresser.Nous avons également décidé de ne pas nous inscrire en deuxième phase car nous ne pouvons pas jouer et nous avons demandé à la ligue si nous pouvions remplacer numériquement le Bassin d’Arcachon en R2 puisqu’ils ne jouent pas et ainsi faire des matchs amicaux à la place des matchs que devait jouer le Bassin d’Arcachon. Nous n’avons pas de réponse des autres clubs pour le moment et la ligue et le district ont accepté notre demande de ne pas s’engager et cela crée une motivation supplémentaire pour nos joueuses.
Léa, qui a joué en championnat contre les Coqs rouges, a accepté de donner son sentiment sur ce match :
« Nous avons joué contre une belle équipe des Coqs Rouges, avec un super état d’esprit ! Nous espérons d’ailleurs qu’elles réussiront à se faire entendre. Nous avons passé une belle après midi de foot malgré cette fin de match un peu particulière. »
Quelles sont, selon vous, les pistes pour arranger la situation dans le futur ?
Il serait bien de réfléchir réellement sur le football féminin en concertant tous les clubs de Gironde. Chaque district fonctionne différemment. Par exemple, le district des Pyrénées-Atlantiques a beaucoup de mal à créer un championnat à 11. Comment faire pour les aider ? Et bien, je ne sais pas vraiment. Mais il faut que chaque district réfléchisse à une solution qu’il pourrait appliquer avec ses spécificités. Avoir un règlement donc plus souple en fonction de chaque district et non en national car les cas sont différents.
Concernant la Gironde, je pense que le foot à 8 devrait être exempt de mutation puisque c’est un football de découverte on le voit avec nos U10, U11, U12 et U13 qui commencent le football sur un terrain à 8. Quand on voit au SPUC, le cas de 3 copines qui ne peuvent pas jouer ensemble car elles sont mutées hors période et qu’il n’en faut que 2 maximum sur la feuille de match. Il y a également ce système de période, compliqué à comprendre par des jeunes filles qui n’ont pas cette culture de saison de football, car elles démarrent le football pour la majorité d’entre elles, et elles prennent donc le temps de choisir un club, alors que les garçons qui jouent majoritairement au football depuis leur enfance ont déjà conscience de cette règle. Le 15 juillet est vraiment très court comme fin de période pour que des jeunes étudiantes, par exemple, puissent prendre leur décision. Pour du haut niveau, c’est une très bonne idée mais pas adapté au football de découverte.
Pour une équipe qui passe de 8 à 11, je pense que nous pouvons la considérer comme une création pour l’aider un peu.
Pour le plus bas niveau à 11, le niveau départemental, je pense que l’on peut trouver des solutions aussi.
Pour réguler le fait qu’il n’y ait pas trop de joueuses qui partent d’un club à un autre, on peut limiter le nombre de mutées d’un club à un autre également, nous pourrions travailler sur un quota.
Il y a beaucoup de solutions. Je pense que si chacun se met autour d’une table et réfléchit, nous pourrions trouver des solutions.
Les Coqs rouges de Bordeaux n’est pas le seul club qui pâtit d’un règlement appliqué à la lettre. Le club du FC Talence, par exemple, est dans une situation presque similaire, à la différence près que son nombre de mutées est moins grand, ce qui lui permet de respecter le règlement, comme nous l’explique Josselin Ciret, coach de l’équipe féminine seniors :
« Grâce à mon club, j’ai le droit à deux mutées supplémentaires. J’ai 28 filles dont 12 mutées et tout se passe bien. J’ai tout expliqué en début de saison. C’est source de motivation et de concurrence saine. Et j’organise un match amical quand on ne joue pas. »
Le cas du Stade Montois football est encore différent. Ils ont décidé cette saison de réactiver leur équipe seniors féminines à 8, donc ils ne devraient pas être concernés par le règlement sur les mutations. Cependant, 11 joueuses ont décidé de quitter leur club de l’AFC Roquefort pour le Stade Montois et l’AFC Roquefort a refusé leur départ, disant que ça mettait en péril leur équipe féminine, malgré les courriers des joueuses expliquant les raisons de leur départ (comme on peut le lire sur le PV de la commission des mutations). Fabrice Lesburguères, responsable de la section féminine du Stade Montois nous explique comment cela s’est déroulé :
« 11 filles sont venues au Stade Montois du club de Roquefort. Leur président a refusé les mutations. La commission des mutations a validé « pas plus de 3″… Le Stade montois a fait appel et l’appel a été validé pour nous. »
Cela permet à ces 11 joueuses d’évoluer dans un club plus proche de leur domicile. Cependant, ce que redoutait le club de l’AFC Roquefort s’est produit, car il n’a pas pu engager d’équipe féminine cette saison.
Conclusion
La situation exceptionnelle vécue par le club des Coqs Rouges met en évidence les freins au développement de la pratique féminine. Les femmes n’ont pas une culture foot aussi évoluée que les hommes et connaissent mal certains règlements comme la mutation hors période.
De plus, ce problème ne pose pas que chez les femmes, puisque le règlement s’applique aussi dans les championnats masculins. Le district n’a pas d’autre choix que d’appliquer le règlement, comme il le rappelle dans son communiqué de presse. Les pistes de solutions avancées par le coach des Coqs Rouges méritent d’être étudiées (voir également leur communiqué de presse), afin que les règles soient plus souples au plus bas étage des compétitions féminines et masculines. Espérons que cet appel soit entendu et que les gens qui votent les règlements à la fédération se mettent autour d’une table et écoutent les acteurs et actrices du football, aussi petits soient-ils.
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